Lorsque l’on traverse un désert, le vide qui nous entoure, loin de nous apaiser, met nos sens en ébullition. Dans cet espace de quiétude, nous percevons un pressentiment pesant, imperceptible, croissant au fur et à mesure que les mirages s’estompent et rebroussent notre marche. Cette parabole illustre parfaitement le défaut d’inspiration qui nous ronge au milieu du désert d’annonces réchauffées et insipides, d’où il est vain de tirer une quelconque substance nutritive pour notre esprit.
J’en étais à ce stade de réflexion, lorsque par un enchaînement hasardeux de liens, je suis tombé sur un document étonnant autant qu’émouvant d’Alan Kay, décrivant pour le compte de Xerox en Août 1972, la première ébauche d’un laptop. Un ordinateur portable agréable à manipuler capable, entre autres, de se connecter à une librairie scolaire par le réseau « ARPA » ! Je ne puis m’empêcher de penser que quarante ans plus tard, mon Kindle récupère tout seul en Wifi, un eBook que je viens d’acheter en un clic dans la librairie Amazon!
Ne nous emballons pas, car en même temps, je continue mes exercices de contorsion pour insérer un schéma au milieu d’un paragraphe rédigé sous MS Word. Il semble qu’il y’ai une sorte d’ « étape » que certains systèmes ont du mal à franchir.
Les systèmes informatiques deviennent l’extension de nos cinq sens. Nous en attendons une information et une ergonomie d’utilisation fidèles à notre modèle mental. Ces systèmes excellent à représenter des données puis y superposent des algorithmes pour y accéder, les traiter et nous les présenter. Dans un effort constant d’abstraction, des paradigmes sont nés pour illustrer ces systèmes telles qu’ils sont sensés être dans la réalité : des personnes, des comptes bancaires, des contrats, des agences de voyage, des dérivées d’actions…etc. Nous avons dilué les algorithmes dans ces entités abstraites que nous avons spécialisé à l’infini créant ce qu’on appelle l’Orientation Objet. Une représentation commode pour ceux qui s’en contentent, mais l’utilisateur ne s’en sort toujours pas, ou avec des migraines. Comment cet utilisateur que nous voulons plier aux modèles de nos systèmes, représente t-il son monde ? Quel parcours son esprit effectue t-il intuitivement pour réserver un billet d’avion, virer de l’argent ou acheter sur Internet ? En d’autres termes : à quoi devraient ressembler les applications du domaine public ou celui interne aux entreprises, pour que leurs utilisateurs ne les adoptent pas par dépit ?
Réduire le fossé entre la vision du concepteur et celle de l’utilisateur, tel est l’objectif des futurs paradigmes.
Lors d’une conférence sur l’avenir de la modélisation Objet, James Coplien exhorte ses auditeurs à étendre leurs modèles d’entités pour adopter une approche DCI dans laquelle le logiciel ne devrait plus être conçu comme un ensemble d’entités logiques, mais plutôt comme un ensemble de rôles de composition. Cela bouleverse notre vision des systèmes informatiques qui deviennent non plus des conteneurs de données mais des espaces de services se pliant aux rôles que l’utilisateur aura tout loisir leur attribuer. Cette vision des choses a l'intérêt de moins marginaliser la conception qui se rapproche ainsi de la perception mentale que l'on se fait d'un système, une perception d'utilisateur, tantôt concepteur, tantôt client.
Alan Kay a imaginé le petit Dynabook comme un appareil informatique utile et intuitif qui a donné naissance aux notebooks, netbooks et autres tablettes. Sur les traces d’un autre gourou au nom imprononçable, de nombreux concepteurs se sont engouffrés dans la brèche DCI. Je suis curieux de savoir ce qui naîtra de ce foisonnement d’idées autour de cette nouvelle approche. Moins de migraine pour les utilisateurs, j’espère.